Après l’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), faut-il forcément attendre une décision explicite ou implicite de rejet de l’administration avant de saisir le Tribunal d’un recours contentieux ? Par un arrêt du 16 juin 2021[1], le Conseil d’Etat a répondu par la négative.

Cet arrêt a une importance à la fois procédurale et pratique puisque l’interprétation du Conseil d’Etat permet, in fine, de réduire la durée totale de la procédure de deux mois.

1. Les faits d’espèce

Après un contrôle, la Caisse d’allocations familiales (CAF) des Alpes-Maritimes avait décidé de récupérer un indu de revenu de solidarité active (RSA) d’un montant d’environ 12.000 euros, contre un bénéficiaire, en raison de son omission de déclarer certaines ressources de son foyer.

Contestant cette décision, le bénéficiaire avait adressé un recours administratif préalable obligatoire à l’administration, puis, sans attendre la réponse explicite ou implicite de l’administration, avait saisi le tribunal administratif pour demander l’annulation de l’indu de 12.000 euros.

Par jugement, le tribunal administratif a rejeté le recours comme irrecevable, comme exercé avant toute décision explicite ou implicite de l’administration, suite au recours administratif préalable obligatoire.

Le Conseil d’Etat a annulé le jugement, pour erreur de droit. En droit, le Tribunal doit vérifier  si une décision explicite ou implicite a été rendue au jour où il statue et non au jour où il est saisi, comme l’avait estimé le juge de première instance.

2. Le droit applicable

L’article applicable à l’espèce, l’article L. 262-47 du code de l’action sociale et des familles dispose que : ” Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l’objet, préalablement à l’exercice d’un recours contentieux, d’un recours administratif auprès du président du conseil départemental (…) “. 

Le Conseil d’Etat considère que : « l’institution d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration. ».

À réception du recours administratif préalable obligatoire, l’administration répond soit par une décision explicite d’acceptation, soit par une décision explicite de rejet, soit l’administration ne répond pas et l’on considère, en cette matière, que l’absence de délai de réponse dans le délai de deux mois vaut décision implicite de rejet.

Les première et quatrième chambres réunies du Conseil d’Etat ont jugé que la demande en justice est recevable partir du moment où une décision explicite de rejet est rendue ou une décision implicite de rejet, acquise, au jour où le juge statue.

Ainsi, à la date à laquelle le Tribunal statuait, le caractère prématuré de la demande contentieuse avait été couvert par le rejet du recours administratif.

Le jugement est donc annulé et l’affaire, renvoyée devant le tribunal administratif pour qu’il statue sur le bienfondé du recours du bénéficiaire contre la décision de l’administration.

3. Quel est le délai minimal entre l’exercice du recours administratif préalable obligatoire et le recours contentieux ?

Il semble qu’il faille distinguer entre l’expédition du recours administratif préalable obligatoire  par le justiciable et sa réception par l’administration.

Il faut considérer qu’en raison de son caractère « préalable », le recours administratif préalable obligatoire devrait être expédié, en courrier recommandé avec accusé de réception, à tout le moins, la veille du recours contentieux.

Est-il nécessaire que le recours administratif préalable obligatoire ait été réceptionné par l’administration ? L’arrêt du Conseil d’Etat ne nous donne pas de réponse définitive sur ce point, même si, dans les faits d’espèce, le recours administratif préalable obligatoire avait été réceptionné par l’administration le même jour que l’enregistrement de la demande contentieuse.

Toutefois, les articles 668 et 669 du Code de procédure civile disposent que la date de la notification par voie postale est la date de l’expédition, à l’égard de celui qui y procède. En outre, la date de l’expédition d’une notification faite par la voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission.

Ainsi, si le justiciable ou son avocat adresse le recours administratif préalable obligatoire par courrier recommandé avec accusé de réception, il pourrait envoyer le recours contentieux dès le lendemain.

Le Tribunal vérifiera si, au jour où il statue, une décision explicite ou implicite de rejet du recours administratif préalable obligatoire a été rendue, ce qui sera le cas dans la plupart des affaires au fond, généralement audiencées après un délai de deux mois, tant devant le tribunal administratif que devant le pôle social du tribunal judiciaire

4. L’application de cette solution aux décisions de l’organe décisionnel de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH)

En droit du handicap, le recours administratif préalable obligatoire est prévu par l’article R241-35 du Code de l’action sociale et des familles : le recours administratif préalable obligatoire doit précéder le recours contentieux. Le principe est le même qu’en droit de la sécurité sociale.

Le contentieux relatif aux décisions de la Commission départementale des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) est divisé entre tribunal administratif et pôle social du tribunal judiciaire.

Lorsque le tribunal administratif est compétent, la jurisprudence du Conseil d’Etat sera, sans conteste, transposable.

Lorsque le pôle social du tribunal judiciaire est compétent, l’analyse mérite d’être faite.

Les règles de saisine du pôle social du tribunal judiciaire sont fixées par l’article R142-10-1 du Code de la sécurité sociale. Cet article dispose que le tribunal est saisi par requête. La requête est accompagnée « d’une copie de la décision contestée » et de « la copie du recours préalable. ». Cet article n’exige pas que soit adressée copie de la décision rendue suite au recours administratif préalable obligatoire.

Aussi, dans une hypothèse dans laquelle les parents contestent une décision relative à un complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ou une décision relative à l’orientation scolaire de leur enfant, par exemple, il nous semble qu’ils pourraient adresser le recours administratif préalable obligatoire, par courrier recommandé avec accusé de réception et, le lendemain de cet envoi, adresser la demande contentieuse au Tribunal, pour un gain de temps de deux mois sur la procédure totale. Une accélération bienvenue lorsque l’orientation scolaire ou le financement des nécessaires prises en charge de l’enfant en situation de handicap n’attendent pas le résultat de l’action en justice.


[1] Conseil d’Etat, 1ère-4ème chambres réunies, 16 juin 2021, n°440064, disponible sur Legifrance.gouv.fr