Par un arrêt du 21 octobre 2021 [1], la Cour administrative d’appel de Versailles a condamné l’Etat à payer à la famille dont les deux enfants autistes n’avaient pas été pris en charge en Institut médico-éducatif (IME), une somme totale de 51.500 €, au titre du préjudice moral des deux enfants, du préjudice moral des deux parents et des frais d’avocat.

Cet arrêt se situe dans la droite ligne des arrêts de principe Laruelle [2] et Beaufils [3] du Conseil d’Etat.

 

I.          Les faits d’espèce

La Commission départementale de l’autonomie et des droits des personnes handicapées (CDAPH) avait émis une décision afin d’orienter deux enfants autistes au sein d’instituts médico-éducatifs (IME) à temps plein, en semi-internat. Ces décisions n’ont pas été suivies d’effet, en raison d’un manque de places disponibles.

Les enfants ont été placés sur liste d’attente, pendant plusieurs années.

Les parents ont donc assigné l’Etat devant le tribunal administratif de Paris. Le dossier a ensuite été transmis à Versailles, probablement en raison d’une incompétence territoriale.

Un jugement favorable a été rendu par le tribunal administratif de Versailles mais les parents, certainement insatisfaits du quantum de dommages et intérêts attribués, ont interjeté appel. À raison, car ils ont obtenu une somme plus importante.

 

II.        Le droit applicable

En l’espèce, les requérants se sont fondés sur l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui prévoit le droit de toute personne à l’éducation, sur l’article L112-1 du Code de l’éducation, qui décline le droit à l’éducation, en milieu ordinaire, pour les enfants présentant un handicap, et l’article L246-1 du code de l’action sociale et des familles, qui dispose que toute personne souffrant d’un syndrome autistique bénéficie d’une prise en charge pluridisciplinaire.

La Cour administrative d’appel synthétise l’état du droit : « Ainsi, lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la CDAPH en raison d’un manque de place disponible, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée. »

Tel n’est pas le cas, en revanche, lorsque les parents estiment que l’orientation ou la prise en charge effective n’est pas adaptée au handicap de leur enfant. La Cour administrative d’appel rappelle, d’une part, que, pour contester, l’orientation scolaire notifiée par la CDAPH, un recours doit être exercé [4] et, d’autre part, que, pour contester une prise en charge non adaptée, la responsabilité de l’établissement peut être engagée.

 

III.       Comment prouver la faute ?

Idem est non esse aut non probari, dit l’adage latin : c’est la même chose de ne pas être ou ne pas être prouvé.

Or la preuve qu’une carence de prise en charge, fait négatif par essence, confine à une faute, est difficile à rapporter.

À ce sujet, la cour administrative d’appel constate que : « Compte tenu des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine, s’il appartient aux parents de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des décisions de la CDAPH, il incombe ensuite à l’Etat de renverser cette présomption en produisant des éléments permettant d’établir que l’absence de prise en charge ne lui est pas imputable. »

C’est la raison pour laquelle une présomption a été prévue par le juge, à partir du faisceau d’indices qui sera apporté par les parents.

En l’espèce, les parents ont produit un grand nombre de notifications de la CDAPH pour prouver l’orientation de leurs enfants en IME, pour toute la période pour laquelle ils demandaient réparation du préjudice. Les parents produisaient, également, des courriers refusant une prise en charge immédiate des enfants, ou faisant état de l’inscription des enfants sur liste d’attente, pour justifier de leurs démarches infructueuses auprès de ces IME.

Au vu du nombre de documents produits, la cour administrative d’appel a estimé que les parents avaient apporté suffisamment d’éléments pour faire présumer une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des décisions de la CDAPH.

En l’espèce, l’Etat, en défense, ne contestait pas l’absence de place disponible dans les IME vers lesquels ils avaient été orientés par la CDAPH. En outre, l’Etat n’apportait pas la preuve d’une autre cause imputable à ces IME ni aux requérants, pour justifier l’absence de prise en charge des enfants.

L’Etat n’a donc apporté aucun élément de nature à renverser la présomption de faute et a donc été condamné à des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de chacun des enfants et de chacun des parents.

 

IV.       Les clés du succès de l’action en responsabilité

Pour engager, avec succès, la responsabilité de l’Etat pour défaut de prise en charge médico-sociale d’un enfant autiste, il faut, au préalable :

–           S’assurer que les parents ont sollicité une prise en charge médico-sociale [5], en déposant un dossier auprès de la maison départementale des personnes handicapées du lieu de leur domicile.

–           S’assurer que ce ne sont pas les parents qui ont refusé l’admission de leur enfant en IME ou qui ont retiré leur enfant de l’IME.

–           S’assurer que le défaut d’admission de l’enfant ne résulte pas d’une faute de l’établissement lui-même.

–           Conserver copie de toutes les décisions d’orientation de la CDAPH et des courriers des IME.

–           Faire une demande indemnitaire préalable auprès de l’administration, préalable à l’action contentieuse.

À ces conditions, il est possible d’envisager une action en responsabilité contre l’Etat devant la juridiction administrative pour parvenir, par-delà l’indemnisation du préjudice subi par les familles, à l’objectif « Zero sans solution »[6]

[1] CAA de VERSAILLES, 6ème chambre, 21/10/2021, 19VE02418, Inédit au recueil Lebon, disponible sur Legifrance.gouv.fr

[2] CE, 8 avr. 2009, 4ème et 5ème sous-sections réunies, n° 311434, Publié au recueil Lebon ; CE, 16 mai 2011

[3] CE, 16 mai 2011, 4ème et 5ème sous-sections réunies n° 318501 Publié au recueil Lebon

[4] Devant le pôle social du tribunal judiciaire

[5]  Dans un arrêt Cour administrative d’appel de Versailles, 5ème chambre, 30 septembre 2021, 19VE01400, les parents ont été déboutés, notamment parce qu’ils n’avaient pas demandé la prise en charge médico-sociale, sur la période d’indemnisation demandée.

[6] Rapport « Zero sans solution » de D. Piveteau, remis en 2014.